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L'hospitalité de la psychanalyse

Dernière mise à jour : 1 oct. 2023


Photo d'un salon bohémien

Pourquoi parler de la psychanalyse comme un lieu d'hospitalité ?

Parce-qu'il nous semble qu'elle abrite encore une chance d'entendre une parole face à la prolifération actuelle des images. En effet, toutes ces images, dont nous sommes inondés en permanence, qui se substituent en grande partie à l'information et à la communication, modifient les conditions de la parole et génèrent une absence d'échange. Le sujet devient la cible de ces messages, mais n'en est plus destinataire. Il ne peut y répondre car ils sont trop nombreux.

Face à cette absence d'échange, la psychanalyse reste un lieu d'hospitalité, qui abrite une chance d'entendre une parole. La psychanalyse, au-delà de toute maîtrise, fait résonner la langue et abrite le droit au secret.

Pour autant, prendre le risque de l'hospitalité, c'est prendre le risque de la rencontre. Accueillir l'autre, l'imprévu, l'événement, en dehors de tout jugement moral, est l'exigence analytique. Ici il s'agit d'une exigence de déconstruction pour prendre en compte l'autre, en sachant suspendre le jugement, pour respecter en quelque sorte l'éthique derridienne de l'hospitalité.

L'analyste offre l'hospitalité de son espace psychique, notamment par "l'attention flottante" préconisée par Freud. Il apporte une égale attention à tout ce que dit le patient, sans présupposé théorique, ou jugement moral. Il ne doit avoir aucun projet pour l'analysant. L'analyste doit faire taire la censure pour faire surgir le refoulé de la langue.

La parole de l'analysant est en errance et cherche son chemin. Il lui faut trouver sa route. L'analyste doit donc pouvoir, dans le cadre de la séance, accueillir et parler dans la langue du patient. Il doit apprendre à parler sa langue afin de pouvoir entendre sa parole.

Par cet acte d'hospitalité, et en se débarrassant de toute position intellectualiste de savoir, l'analyste peut permettre au patient d'entendre, ou de réentendre, ce qu'il a dit sans s'en rendre compte. C'est le fait de retrouver ses propres mots, sa propre langue, qui permettra à l'analysant de sortir de la place psychique qui lui avait été assignée.

Le psychanalyste doit donc accueillir une parole que le patient ne connaît pas lui-même. Cette forme d'hospitalité doit permettre à celui qui parle de s'entendre et de trouver sa voix et sa voie.

C'est dans cet échange entre deux personnes, qui n'existe nulle part ailleurs, qu'un effet de parole peut se produire. Freud pensait que l’échange qui peut avoir lieu entre deux êtres humains dans le cadre d’une séance d’analyse n’a pas d’analogue dans la vie réelle. Il préconisait de se laisser surprendre. Il faut, dans cet échange, faire taire le sens, puisque nous connaissons les limites du langage, des mots, qui dissimulent plus qu'ils ne révèlent. Afin que puisse émerger une pensée, que puisse s'opérer une rencontre avec quelque chose.

Cette ouverture à l'imprévu peut correspondre à une conception de l'hospitalité dans la clinique analytique, cette éthique consistant à se laisser surprendre, à s'avancer sans grille préalable. Ainsi la théorie peut émerger de façon incidente.

La regrettée philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle plaçait la psychanalyse tout entière sous la protection du concept de l'hospitalité (1) et affirmait que « ce n'est que dans la rencontre et dans la reconnaissance de l'autre en tant qu'il préexiste à moi-même que se révèle la possibilité de la vraie hospitalité (2) ».

Dans ce que Jacques Derrida appelle « l'hospitalité inconditionnelle », l'hôte reçoit sans savoir quoi que ce soit de celui qu'il reçoit. Si je ne m'expose pas au risque, ce n'est plus de l'hospitalité. Je dois accepter de me laisser affecter par l'autre, au risque de ma propre identité. Dans une hospitalité vraiment inconditionnelle il faudrait inventer à chaque fois une nouvelle langue, dépourvue de grammaire préalable, pour accueillir l'étranger. Une hospitalité poétique en quelque sorte. Et à chaque fois, face à la singularité de l'autre, il convient de trouver une réponse unique et originale.

D'ailleurs pour Derrida, l'hospitalité est poétique : « La demande de l'hospitalité me demande d'inventer ma propre règle. Dans ce sens, le langage de l'hospitalité doit être poétique : il faut que je parle ou que j'écoute l'autre là où, d'une certaine manière, le langage se réinvente (3) ».

L'acte d'écoute du psychanalyste relèverait ainsi d'une hospitalité inconditionnelle. En outre, le psychanalyste doit être inventif dans son écoute, car chaque cure est singulière. Il doit entendre la langue singulière de l'analysant, les premiers signifiants qui se sont inscrits dans l'inconscient du sujet, que Lacan a nommé « lalangue ».

Au delà de la langue, parfois la poésie se joue dans les silences, et parfois l'hospitalité peut aussi être dans les silences. Parfois la parole est violence et l'hospitalité pourrait consister à accueillir l'autre dans ses silences. Le silence de l'analyste est aussi un acte, un acte d'écoute.

1 Anne Dufourmantelle, "L'hospitalité une valeur universelle ?", in "Actes du colloque des 18 et 19 novembre 2010 à l'Unesco, Paris : psychanalyse et politique", Insistances, n°8, Toulouse, Erès, 2012, p. 57

2 Ibid., p 59

3 Jacques Derrida, ''Responsabilité et hospitalité'', Manifeste pour l'hospitalité. Autour de Jacques Derrida, Grigny, Paroles d'Aube, 1999, p. 113

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